vendredi 23 mars 2012

Les Gracques : Tiberius, le grand frère.

                                        Dans un billet consacré au film "Gladiator", j'évoquais le personnage du Sénateur Gracchus (interprété par Derek Jacobi) en expliquant que, bien que n'ayant pas réellement existé, on pouvait voir en lui une allusion aux Gracques. J'avais promis de vous en reparler : c'est donc ce que je vais faire aujourd'hui - en commençant par l'aîné, Tiberius.

                                        Les Gracques, comme les Grimm, les Bogdanov et les Gallagher (cherchez l'erreur) sont deux frères : Tiberius et Caius. D'ascendance illustre, ils ont pour parents le consul Tiberius Sempronius Gracchus qui s'est illustré en tant que commandant en Espagne, et Cornelia, fille du héros de la deuxième guerre punique Scipion l'Africain. Avec une telle naissance, le doute n'était pas permis : ils étaient appelés à exercer les plus hautes fonctions. Et pourtant, toute leur action politique aura pour but de réformer le système qui a permis à leur famille d'atteindre une telle position.


TIBERIUS.

                                        Né en 163 avant J.C., Tiberius a épousé Claudia Pulcheria, fille d'un ancien consul et ancien censeur. Élu questeur en 137 avant J.C., il a été envoyé en Espagne. Sur place, il ne se fait pas que des amis : l'armée romaine est en déroute face aux Numantins, et Tiberius parvient, grâce aux bonnes relations que ce peuple a entretenu avec son père, à négocier la paix. Mais le Sénat juge le traité indigne et le rejette : la carrière militaire de Tiberius est étouffée dans l’œuf, et ses rapports avec le Sénat se tendent...
                                        En Espagne, Tiberius n'a pas manqué de remarquer la faiblesse et la démotivation des légionnaires, ni d'observer la manière dont les terres cultivables étaient vidées de leurs paysans et ouvriers agricoles au profit de riches propriétaires qui y employaient leurs esclaves. Ces mêmes riches exploitants, par leur cruauté, provoquent en 135 avant J.C. une immense révolte servile en Sicile : plus de 70 000 esclaves se soulèvent, mettant l'île à feu et à sang pendant 3 ans, avant d'être écrasés avec violence. Un avant-goût de Spartacus, en somme ! 
                                        Des terres trop vastes, concentrées entre trop peu de mains ; un recours massif à la main d’œuvre servile, qui met en péril la sécurité de la République ; des paysans italiens, base de l'armée, sans ressource et donc fragilisés : sans doute Tiberius a-t-il compris que tous ces dangers menaçaient gravement l’État. Il a sans doute aussi entrevu les problèmes que posait la domination d'une poignée d'aristocrates face à une plèbe toujours plus nombreuse et toujours aussi pauvre : une sorte de révolution française avant l'heure, en quelque sorte, si l'on veut risquer l'anachronisme.


Tiberius Gracchus. (British Museum) - photo empruntée à http://philo-lettres.pagesperso-orange.fr/



                                        En 133 avant J.C., Tiberius Gracchus est élu Tribun de la Plèbe. Sa première action est de proposer une loi agraire, la rogatio sempronia : elle projette de diviser les terres agricoles en plus petites parcelles et de les redistribuer pour confier leur exploitation à des paysans libres, plutôt qu'à des esclaves. En échange, elle prévoit l'indemnisation des grands propriétaires terriens. Seulement, voilà : les Sénateurs ne voient pas ça d'un très bon œil ! Et pour cause : ils profitent largement de ces terres, les utilisent pour monnayer leur influence. On s'en doute : ils s'opposent à Tiberius, en achetant son collègue au tribunat de la plèbe, Octavius, afin que celui-ci oppose son véto. S'en suit alors une guerre des tranchées, chaque parti campant sur ses positions et bloquant tous les textes législatifs soumis par l'adversaire. Finalement, Tiberius exige qu'Octavius renonce à son véto, sans quoi il en appellera au peuple pour demander sa destitution. Octavius refuse : il est forcé de quitter ses fonctions, et la loi est promulguée dans un climat délétère, entaché de soupçons quant à la légitimité de la destitution d'Octavius.
                                        En 132 avant J.C., Tiberius Gracchus brigue un second tribunat - dans l'illégalité la plus totale, puisque la loi interdit d'occuper deux fois de suite le même mandat. Mais ce titre s'accompagne de l'inviolabilité, et il juge sans doute qu'il sera ainsi mieux à même de pérenniser sa réforme. Évidemment, on lui oppose un refus et cette transgression flagrante lui coûte une bonne partie de ses soutiens. En 133 avant J.C., une rixe éclate alors que Tiberius a rassemblé ses soutiens pour une démonstration de force : le malheureux est égorgé (ou tabassé à coups de banc, selon les versions), son cadavre est jeté au Tibre, et 300 de ses partisans sont massacrés par des sénateurs déchaînés. Exit Tiberius Gracchus ! Quant à ses derniers appuis, ils sont victimes d'une véritable purge, organisée par le Sénat.
                                        Néanmoins, des voix s'élèvent pour tenter de poursuivre l'action du premier des Gracques. Parmi elles, celle de son beau-frère et cousin, Scipion Emilien, héros de la troisième guerre punique - mais il meurt avant d'atteindre son but - et celle de Marcus Fulvius Flaccus, ancien consul. Mais c'est son frère, Caius, qui reprendra véritablement le flambeau quelques années plus tard...

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