vendredi 11 mai 2012

Les gladiateurs : Partie 2.



                                    Dans cette seconde partie, je propose de vous indiquer quelques éléments de la vie des gladiateurs, avant de clore le chapitre par une brève histoire de la gladiature. Encore une fois, n'hésitez pas à vous manifester par mail pour toute remarque.

VIE DES GLADIATEURS.

                                       A nouveau, l'image de gladiateurs esclaves, enfermés dans les ergastules et poussés dans l'arène, contraints de combattre jusqu'à la mort devant une populace sadique, avide de voir couler le sang, est bien éloignée de la réalité. Tout d'abord, s'il y a bien des esclaves et des prisonniers parmi les gladiateurs, on compte aussi un nombre non négligeable d'hommes libres, ayant volontairement épousé la carrière. (Voir ci-dessous) Si l'on écarte les explications psychologiques à deux sous (goût du risque, envie d'en découdre, etc.), il existe d'autres raisons susceptibles de motiver un tel choix : l'argent et la gloire ne sont pas les moindres. Il y a, bien sûr, la prime touchée par le gladiateur volontaire lors de son engagement. Mais tout combattant peut espérer devenir une star de l'arène, et gagner de véritables fortunes. De plus, s'ils sont méprisés et considérés comme la plus basse engeance, les gladiateurs sont pourtant tout autant admirés pour leur bravoure et leur courage, et ils affolent les foules : ils ont leurs fans, leur groupies (y compris parmi les femmes de l'aristocratie romaine), des produits dérivés à leur effigie (lampes, médaillons, céramiques, peintures...), leurs noms tagués sur les murs de la ville... Mais même pour la majorité des gladiateurs anonymes, la vie est rude mais finalement pas si pénible comparé à celle d'un esclave lambda, souvent faite d'un labeur pénible et humiliant. De plus, un combattant particulièrement vaillant peut espérer gagner la liberté : en effet, il pouvait se voir décerner par l'editor le rudius, glaive de bois symbolisant son affranchissement.

Lampe à huile représentant un combat de gladiateurs.

Graffiti de Pompéi.

                                        S'il existe des troupes itinérantes assez médiocres, la plupart des gladiateurs, une fois engagés, rejoignent une familia gladiatorum - l'ensemble des habitants du ludus où ils vivent. C'est dans les murs de cette école de gladiateurs qu'ils seront entraînés, formés au maniement des armes par un doctore - généralement un ancien gladiateur. Lorsque le nouveau gladiateur arrive dans le ludus, il est d'abord provocator, avant de se spécialiser : le laniste lui attribue ensuite une armatura, en fonction de ses aptitudes physiques. A l'entraînement, les hommes luttent les uns contre les autres ou frappent sur un pilum, sorte de pilier en bois destinés à recevoir coups d'épée ou de bouclier. Les gladiateurs sont nourris, logés sur place, dans des petites cellules étroites qu'ils occupent avec leur famille. Les femmes et les enfants travaillent certainement aussi au sein du ludus, et les gladiateurs ont donc souvent une véritable vie de famille.  Ils bénéficient aussi des soins d'un unctor (masseur) et d'un médecin en cas de blessure. Plus qu'un geste humanitaire, il s'agit de préserver l'investissement que représente un combattant : au prix de l'homme lui-même s'ajoute celui de son entretien et de sa formation, et il ne s'agit pas de gaspiller tout cet argent en le laissant tomber malade ou mourir bêtement à cause d'une blessure infectée !

Photos de la galerie Flickr de Llee_wu.

Terrain d'entraînement des gladiateurs à Pompéi.

                                        Une dernière remarque sur le nom des gladiateurs : hommes libres ayant volontairement rejoint un ludus ou prisonniers de guerre, ils sont, de toutes façons, considérés comme des esclaves et, à ce titre, l'onomastique traditionnelle romaine ne s’applique pas à eux. On les désigne généralement par un surnom en référence à un héros de la mythologie ou un Dieu (Hermès, Ajax, Persée, Hercule...), à ses qualités ou ses caractéristiques physiques (le rapide, l'ours, la foudre), ou encore sa prestance  (le brillant, le petit, le sculptural, etc.)


ORIGINE ET ÉVOLUTION DE LA GLADIATURE.


Ménélas soutenant Patrocle.
                                        Quand on parle de gladiature, on pense immédiatement aux jeux du cirque de la Rome Antique. Et l'on commet déjà une double erreur : d'abord, les combats de gladiateurs se déroulaient en amphithéâtre (comme le Colisée ou les arènes de Nîmes, par exemple), et le phénomène ne s'est pas cantonné à l'Empire romain. En fait, la gladiature est attestée dans bon nombre de sociétés antiques, au fil des siècles : évidemment dans ces conditions, elle a connu une évolution que j'évoquerai ci-après.  A l'origine, la gladiature est intimement liée aux rites funéraires. Ainsi, la première trace littéraire se trouve-t-elle dans l'Iliade d'Homère (Chant XXIII) : lors des funérailles de Patrocle, Achille organise toute une série d'épreuves, dotées de prix variés. Parmi elles, de nombreuses disciplines olympiques sont représentées : course de char, course à pied, lancer de javelot, pugilat... Et un combat, opposant Ajax à Diomède. Leur engagement est volontaire : il s'agit de remporter le prix promis par Achille, tout en faisant honneur à son camp. Si le combat s'achève avant la mort d'un des protagonistes, ce n'est pas de leur fait, puisque c'est le public qui décide de son arrêt. Ce type de combats, attesté dans bien d'autres civilisations antiques autour de la Méditerranée, a été représenté sur les fresques ornant certaines tombes : des hommes armés s'affrontent, sous l’œil d'un arbitre, au son de flûtes. De là, ces rites funéraires s'implantent en Italie, où ils sont adoptés par les Étrusques, puis par les Romains.

                                        Le premier combat de gladiateurs à Rome a lieu en 264 avant J.C., lors des funérailles de D. Junius Brutus. Il oppose alors 3 paires de gladiateurs. A Rome, les notables comprennent vite que la foule apprécie ces spectacles, et qu'il y a peut-être un coup à jouer... Pourquoi ne pas s'en servir pour accroître leur popularité, et favoriser leur ascension politique ? Dès lors, les magistrats et candidats offrent au peuple des munera (combats de gladiateurs - singulier munus), et le spectacle devient courant dès le Ier siècle avant J.C, malgré le coût exorbitant. Il faut dire qu'on ne se contente plus de quelques combats : César, en 65 avant J.C. offre pas moins de 640 gladiateurs lors des jeux qu'il organise ! Tu parles d'une inflation... Les grandes familles romaines prennent également la tête des grands ludi : César, toujours lui, possédait par exemple 5000 gladiateurs à Capoue. Dans ces conditions, il pouvait bien se fendre de 320 paires de combattants...

                                         En 310 avant J.C., les Samnites, guerriers dotés d'un splendide équipement militaire ornés d'or et d'argent, sont vaincus par les Romains et leurs alliés les Capouans. Si les Romains consacrent les armes des vaincus aux Dieux, les Capouans sont nettement plus drôles : ils se servent de ce joli butin pour armer des gladiateurs, qui combattent lors de banquets - histoire de se payer la tête de leurs ennemis. La gladiature sort donc pour la première fois du cadre des rituels funéraires (et, reconnaissons-le, c'est déjà plus festif !) De plus, ces gladiateurs portant les armes des ennemis vaincus sont rapidement appelés "Samnites" : c'est l'apparition de la première armatura (équipement ou panoplie). Vers le IIIème siècle avant J.C. suivront les gladiateurs "Gaulois", puis les "Thraces" un siècle plus tard - dotés d'un équipement spécifique - au fur et à mesure des conquêtes romaines. Ces combattants sont souvent rassemblés sous le nom de "gladiateurs ethniques."
                                         Nous l'avons dit, les gladiateurs combattent par paires. A cette époque, elles sont constituées de gladiateurs identiques - un Gaulois contre un Gaulois, un Thrace contre un Thrace. Cette "gladiature ethnique" correspond aux grandes conquêtes romaines, et ce n'est sûrement pas un hasard. Ces combats, au-delà de leur aspect rituel lorsqu'ils ont lieu lors de funérailles, revêtent une lourde signification patriotique : ce sont en effet les barbares vaincus qui sont obligés de se donner en spectacle pour divertir les Romains, rappelant leur défaite et, du même coup, la puissance de Rome. La gladiature connaît alors un essor certain : le public, avide de ces combats, est toujours plus exigeant, et il  faut toujours plus de combattants. Par ailleurs, les gladiateurs ne sont plus des volontaires, mais bien des prisonniers de guerre ramenés des territoires, toujours plus éloignés, conquis par Rome.

Statue de Spartacus, Musée du Louvre. (Photo : Urban)

                                         C'est dans ce contexte, en 73 avant J.C., qu'un certain Spartacus devient gladiateur. Vraisemblablement issu de l'aristocratie, ce thrace est un prisonnier de guerre, acheté avec un lot d'autres esclaves par un laniste (propriétaire d'une écurie de gladiateurs) de Capoue, dont il intègre le ludus. Or, Spartacus refuse de se soumettre à son sort et déclenche une révolte, entraînant avec lui plusieurs de ses frères d'armes. Après avoir neutralisé les gardes du ludus, les hommes s'enfuient et attirent bientôt à eux d'autres esclaves. Rapidement, la petite troupe de fugitifs s'est transformée en une véritable armée de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, bien décidés à en découdre avec les Romains. Tous ne sont pas de redoutables combattants. Pourtant, entraînés par les gladiateurs, ils tiendront tête à Rome pendant plus de deux ans...
                                         Certes, Rome avait déjà connu des révoltes d'esclaves (guerres serviles, 139 et 104 avant J.C.), mais elles s'étaient cantonnées à la Sicile. Or, non seulement cette fois, les rebelles sont des gladiateurs, armés et dangereux, mais en plus le soulèvement a eu lieu en Italie, sur le continent ! Le Sénat, pourtant, ne prend pas immédiatement la mesure de la crise. Les échecs successifs de l'armée Romaine face à Spartacus et ses hommes, la menace directe qu'ils font peser sur Rome : tout cela constitue un véritable choc pour les Romains, qui prennent conscience de la folie que représente le fait de regrouper des esclaves, armés et de entraînés à tuer. Inévitablement, la mort de Spartacus et l'extinction de la révolte entraîne une réforme en profondeur de la gladiature.

                                         Malgré tout, les combats de gladiateurs continuent à gagner en popularité, et le public est toujours plus exigeant : il veut du spectaculaire, du grandiose ! Le regard même que les Romains portent sur les gladiateurs en général, nous l'avons dit, est lui-même ambigu : s'ils sont méprisés, si leur condition les place au dernier rang des esclaves, ils sont en même temps admirés pour leur bravoure. Le peuple demande des affrontements toujours plus originaux, ce qui conduit les lanistes à offrir des combats de meilleure qualité, et à développer de nouvelles armaturae, plus techniques. Ainsi, les gladiateurs sont mieux armés et mieux entraînés - ce qui ne fait qu'accroître le danger... Comment résoudre ce paradoxe ?

                                         C'est de l'enthousiasme même des Romains pour la gladiature que vient la solution, les spectateurs devenant les acteurs de leur passion. La solution trouvée par les Romains est finalement assez simple, et c'est sous le règne d'Auguste que l'on assiste à l'émergence de gladiateurs volontaires - comme aux origines de la discipline, soit dit en passant. Concrètement, cela signifie que n'importe quel homme pouvait s'engager dans la carrière de gladiateur, qu'il soit patricien, plébéien, affranchi, etc. Ce faisant, il renonçait à ses droits civiques et devenait, pour quelques années, l'esclave d'un laniste, tombant au plus bas dans l'échelle sociale. Un contrat était signé entre notre volontaire et le laniste, qui lui versait une prime pour son engagement. Ce type de gladiateurs est appelé auctoratus (celui qui se vend).

                                          Ainsi, la révolte de Spartacus et l'engouement du public pour la gladiature ont conduit à cette double évolution : gladiateurs volontaires et nouvelles armaturae, plus techniques. Petit à petit les gladiateurs ethniques disparaissent ou se spécialisent et les paires de combattants changent également : si certains gladiateurs affrontent toujours des combattants identiques (deux equites ou deux essedarii), il existe désormais des paires dissemblables. Ainsi, le couple le plus populaire sous les Julio-Claudiens est-il celui qui oppose le mirmillon au thrace. Apparait également l'opposition hoplomaque -mirmillon puis, plus tardivement (sous Vespasien, 69 - 78), rétiaire-sécutor. Attesté dès le règne d'Auguste, il aura fallu attendre plusieurs décennies pour que le rétiaire trouve un adversaire à sa mesure, susceptible d'assurer le spectacle attendu par le public.

Reconstitution d'un combat rétiaire - secutor. (Photo : Ana Ovando)

                                         Cet armement plus hétéroclite, plus complexe, évoluant en fonction de celui de l'adversaire, et l'exigence d'un public demandeur de spectacles toujours plus intéressants conduisent à une élévation de la qualité des combats. La formation des gladiateurs coûte plus cher, et les affrontements à mort, plus onéreux, deviennent plus rares. La mort n'est plus l’intérêt principal du combat : à celle-ci s'est substitué le suspens, la technique, le courage des adversaires. On est loin de l'image d’Épinal de la populace avide de sang véhiculée par les péplums !

                                         Cette gladiature technique, cependant, ne survivra pas au déclin de l'Empire. Certes, les chrétiens ont gagné en pouvoir et condamnent ses combats sanguinaires. Mais plus encore que l'anathème de l’Église, c'est bien la crise économique qui sonne le glas de cette gladiature. Associée aux assauts des barbares, elle provoque le déclin des villes et la ruine des notables des cités qui organisaient et finançaient les jeux - d'où les faillites des ludi. Dès lors, la gladiature régresse et devient un affrontement brutal, violent et sanglant. A nouveau, ce sont les prisonniers qui sont contraints de combattre, jusqu'à la mort. Ce mouvement se poursuivra jusqu'en 404, date à laquelle l'empereur Honorius interdit les combats de gladiateurs.

POUR ALLER PLUS LOIN.

Pour finir, quelques références intéressantes pour prolonger cet article :



"La mort en face : le dossier gladiateurs" d’Éric Teyssier. (Editions Actes Sud) : lien.
Les Gladiateurs - hors série du magazine Histoire Antique et Médiévale : lien.
Spartacus - hors série du magazine Historia : lien.



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