dimanche 10 juin 2012

Du pain et des jeux... Oui, mais du pain d'abord !

                                        Suite de l'article précédent, en quelque sorte... J'ai choisi pour titre la célèbre formule "Du pain et des jeux". On la doit au satiriste Juvénal, qui  déplore au Ier siècle après J.C. :
"Le peuple qui jadis octroyait des commandements, des consulats, des légions et tout le reste, ne désire ardemment aujourd'hui que deux choses : du pain et des jeux."

Mosaïque de Saint-Romain en Gal.

                                        Du pain et des jeux, "panem et circemses" : la formule, passée à la postérité, est sans doute la première qui vient à l'esprit lorsqu'on évoque le peuple romain. Elle a servi dans de nombreux articles sur les jeux du cirque - moi-même, je ne m'en suis pas privée - et il faut bien avouer qu'on se polarise généralement sur la seconde partie de l'assertion, jusqu'à en oublier la première. Car, certes : des jeux, mais avant tout du pain !

                                        Le pain est apparu assez tardivement à Rome - encore un truc qu'ils ont piqué aux Grecs ! A l'origine, les Romains pilaient dans des mortiers des grains de céréales grillés, afin d'obtenir une sorte de semoule. Mélangée à de l'eau ou du lait, elle devenait une bouillie que l'on pouvait boire, ou laisser refroidir avant de la cuire et de la couper en tranches. Et, tout comme les Anglais nous surnomment les "mangeurs de grenouilles", les Grecs se moquaient des Romains, qu'ils appelaient les "mangeurs de bouillies".

Pain retrouvé à Pompéi.
On ne commence à faire du pain à Rome qu'au II ème siècle après J.C, lorsque des boulangers (pistores) grecs s'y installent. Encore faut-il nuancer, le terme "panis" ne faisant pas la distinction entre notre pain et les préparations sous forme de galettes. Les Romains, qui jusqu'à lors consommaient des pains non levés, empruntent aux Grecs l'utilisation du moût des vendanges pour fabriquer de la levure, et améliorent la technique du pétrissage. A Pompéi, les pains entiers retrouvés montrent qu'ils pouvaient être entaillés en rayons, afin de faciliter l'homogénéité de la cuisson (encore une astuce de nos amis grecs !).





Bas-relief montrant un moulin en fonctionnement. (Ostie)


Four de Pompéi. (Photo Wikipedia)
Les familles les plus riches possédaient des fours privés où faire cuire leur pain, tandis que les autres se rendaient chez le boulanger pour acheter du pain débité en quarts (panis quadratus). On compte ainsi 329 boulangeries à Rome pendant le règne d'Auguste et, plus tard,  un collège de meuniers-boulangers sera créé, sous Trajan. Le mot latin  "pistor" signifiait à l'origine "celui qui pile le grain", avant de prendre le sens de "boulanger". Chaque boulangerie possédait son four et sa propre meule, destinée à produire la farine (farina - le mot provient d’une variété de blé, le far.) Le blé moulu donnait différentes qualités de farine, plus ou moins fines. Selon Pline l'Ancien, les Gaulois ajoutaient à la pâte l'écume de boissons céréalières, et leur pain, plus léger, était très apprécié.

Femme devant son four.

                                        Dans l'antiquité romaine, il existait plusieurs sortes de pains, selon les céréales utilisées et la finesse de la préparation. On produisait du pain à partir de blé, de millet (il était souvent consommé chaud), d'amidon (c'est le "pain d'Alexandrie", sans doute une sorte de pain de mie), de riz, etc. Mais la plupart du temps, on utilisait du levain, mélange d'eau et de farine. En matière de pain, comme dans bien d'autres domaines, il y a à Rome une distinction très nette selon les classes sociales : l'ouvrier ne se nourrit pas du même pain que le Sénateur. Il en existe donc de plusieurs sortes. Citons entre autres :

  • le pain des esclaves, à base d'orge
  • le "pain des plébéiens" (panis plebeius), préparé à partir d'un mélange de son et de farine à peine tamisée
  • le "pain de second choix", légèrement raffiné
  • et le "pain blanc", plus cher et réservé aux plus riches - pétri en forme d'oiseau, d'étoile, de lyre pour les grandes occasions.
Quant au soldat en campagne, il transporte ses propres rations de froment, qu'il moule pour en faire un pain grossier (panis militaris).

Four du fort romain de Saalsburg. (Photo Stefan Plogmann)

                                        On consomme du pain tous les jours, à tous les repas. S'il constitue, avec la bouillie de céréales, l'essentiel de la nourriture pour les plus pauvres,  les riches Romains l'agrémentent de miel, de fromage, de fruits, d’œufs, etc. Le pain, c'est donc la base alimentaire des Romains. Et par conséquent, puisqu'il rend vital l'approvisionnement en blé, c'est aussi bien plus que cela... Au préalable, il faut savoir qu'en Italie, on ne cultivait pas une quantité de blé suffisante pour couvrir les besoins des Romains. Pour gérer les réserves et subvenir aux besoins de l'Urbs, l'approvisionnement annuel (annona) avait été placé sous contrôle public dès le III ème siècle avant J.C., sous l'égide du préfet de l'annone. Très vite, il devint la source de conflits politiques quasi permanents : grâce aux populares, on accorda des subventions aux citadins les plus nécessiteux, pour finir par leur distribuer gratuitement le blé. Ce qui permettait de tenir tout ce petit monde tranquille... et faisait de l'annone l'une des clés du pouvoir.

Fresque de Pompéi, représentant un boulanger, ou une distribution gratuite de pain.

                                        Mais toute médaille a son revers : si contrôler l'approvisionnement en blé vous permettait d’asseoir votre pouvoir, c'était également un levier sur lequel pouvaient jouer vos ennemis. Ainsi, en 36 avant J.C., un opposant à Auguste bloqua les convois de blé. Le mécontentement de la foule fut tel que des émeutes éclatèrent, forçant le Prince à lancer une attaque navale pour permettre au précieux chargement d'arriver à Rome. Quel que soit le jugement que l'on porte sur Auguste, force est de reconnaître que l'homme était d'une redoutable intelligence : ayant compris que celui qui contrôlait le blé contrôlait Rome, il avait bien retenu la leçon. Lorsqu'il réorganisa l'Empire, il créa pour l’Égypte, principal producteur de blé, un statut à part. Indépendante des autres provinces romaines, elle devint une région directement rattachée à l'Empereur et gérée en son nom par un préfet. De cette manière, il la gardait à sa main et évitait qu'un gouverneur ou un proconsul ne puisse s'arroger la production égyptienne et faire pression sur Rome. C'est aussi la raison pour laquelle il faudrait désormais une autorisation spéciale de l’Empereur pour fouler le sol égyptien. (Ce qui vaudra à Germanicus les ennuis que l'on sait, sous le règne de Tibère - lien.)



                                         En guise de conclusion, je vous propose une recette de pain Romain à faire à la maison, dénichée sur le site du Collège Le Grand Beauregard (La Chapelle Sur Erdre).


Pain romain - recette d' Urs Berger, maître boulanger à Augst.

Ingrédients :

750 g de farine romaine (gruau), moulue par une meule romaine en pierre
          (Ou pas - remarque personnelle...),
500 g d'eau (tiède),
1 petite cuiller de sel (10 g),
1 petite cuiller de miel ou de sucre (10g),
20 g de levain

Préparation :

Malaxer ces ingrédients pour obtenir une pâte aussi molle que possible.
Tenir au chaud et laisser reposer. Bien pétrir.
Former deux miches rondes et laisser reposer à nouveau (sur la plaque du four
ou dans des moules).
Dans le four préchauffé, cuire 40 minutes à 220° C.

On peut remplacer une partie du gruau par de la farine bise, si l'on désire un pain plus
léger.


 Si vous avez l'occasion de la tester, tenez-moi au courant...  Et bon appétit !

Mosaïque représentant un panier contenant du pain.

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