mercredi 6 février 2013

Bonne Lecture : "Femmes De Pouvoir Dans La Rome Antique."



                                        Quand on pense à l'Histoire de Rome, une foule de personnages nous viennent à l'esprit, pour le meilleur ou pour le pire : Jules César, Cicéron, Auguste, Néron, Caligula, Marc Aurèle, Hadrien, Constantin... Que des hommes, donc. Le nom de Cléopâtre survient parfois, mais elle ne compte pas puisqu'elle est égyptienne. Pourtant, un Jean Ferrat antique aurait très bien pu chanter que "la Romaine est l'avenir du Romain." C'est en quelque sorte ce que démontre Joël Schmidt, dans un essai remarquable intitulé "Femmes de pouvoir dans la Rome antique".
Fresque de Pompéi.

                                        Dans la plupart des civilisations méditerranéennes antiques et si l'on excepte les Reines telles que Zénobie ou, donc, Cléopâtre, les femmes régnaient certes sur leur demeure, mais elles n'avaient en général aucun rôle public, et encore moins politique. A Rome, c'est tout le contraire, et ce dès les origines de la cité fondée par Romulus. Et c'est ainsi que l'auteur ouvre son livre par l'exemple des Sabines, finalement ravies d'avoir été ravies par les Romains, et qui permettront par leur courage et leur détermination d'unir les peuples de leurs pères et de leurs maris.


Joël Schmidt. (©JB via wikipedia.)


De l'époque de la royauté à l'Empire, en passant par la République, Joël Schmidt démontre que les femmes romaines ont toujours ou presque détenu un vrai pouvoir - hormis durant la période des empereurs-soldats, où il résidait alors entre les mains des légions. Il faut dire que ces dames ne dominaient pas officiellement la politique de Rome mais œuvraient dans l'ombre, le plus souvent éminences grises de leurs époux ou leurs fils.




 
                                        Certaines, héroïnes magnifiques, marquent les esprits par leur courage et leur abnégation. Ainsi Clélie, qui fait plier le Roi étrusque Porsenna, Hispalia dénonçant les orgies des Bacchanales au péril de sa vie, ou la célèbre Lucrèce dont le suicide, après son viol par Sextus Tarquin, marquera la fin de la royauté. D'autres étonnent par l'ambition qu'elles nourrissent pour leur mari ou leurs enfants : on songe à Tanaquil qui impose son époux Tarquin sur le trône, ou bien sûr à Agrippine la Jeune, capable de tout - y compris de plusieurs meurtres - pour porter son fils Néron à la tête de l'Empire. On lira aussi le portait de dignes matrones (telles Octavie, subtil agent de la politique de son frère Auguste ou la redoutable Agrippine l'Aînée), de femmes légères victimes de leurs passions (Évidemment Messaline, mais aussi Julie, la fille d'Auguste), de séductrices cruelles (la belle Poppée, seconde épouse d'un Néron décidément bien mal entouré), de dominatrices énergiques (les Julia Maesa, Julia Soaemias et Julia Mamaea qui régnèrent à la place d'Héliogabale ou d'Alexandre Sévère)...

Agrippine et Germanicus. (Toile de Pierre Paul Rubens.)

                                        Parmi toutes ces grandes figures féminines, se détachent à mes yeux celles de Cornélie, Livie et Hélène. La première, noble patricienne et surtout mère des Gracques, qui perdit ses deux fils à quelques années d'intervalle, en impose par sa dignité, sa grandeur et toute la noblesse de son attitude. Livie, quant à elle, reste à mon sens une redoutable femme politique, à qui son mari Auguste faisait toute confiance, au point de lui avoir confié un double du sceau impérial. Les éventuels héritiers de son mari écartés les uns après les autres (dont certains, dit-on, grâce à elle...), son fils Tibère accèdera à la Pourpre et se détachera peu à peu de l'emprise de cette mère étouffante. La dernière, enfin, bouleversa sans doute la face du monde : ouvertement chrétienne, elle influença la politique de son concubin Constance Clore et de son fils Constantin, conduisant l'Empire vers le christianisme. A la fin de sa vie, parcourant les sites bibliques, elle découvrit la croix du Christ, et devint plus tard Sainte Hélène.

                                        Encore ne s'agit-il que de quelques-unes des personnalités, tour à tour admirables, glaçantes, attachantes mais toujours surprenantes, que présente l'auteur dans son ouvrage. Joël Schmidt maîtrise bien sûr son sujet, lui qui écrit sur l'Antiquité depuis des décennies, nous offrant essais, biographies ou romans historiques avec la même verve, la même érudition et visiblement le  même plaisir. A travers de courts chapitres chronologiques, il se base sur les textes antiques pour tracer le portrait de ces femmes et relater les récits mythiques ou historiques qui composent leurs faits d'armes. On sent le romancier autant que l'historien, qui conte autant qu'il analyse, avec subtilité, les ressorts de ses héroïnes.

                                        Il serait facile de les qualifier de féministes, encore que le mot semble abusif : ces personnalités historiques ont dans l'ensemble davantage œuvré pour la grandeur de Rome ou pour leurs propres ambitions, sans considération quant à leur sexe. A l'exception notable de toutes celles, anonymes, qui manifestèrent contre la Lex Oppia votée durant la deuxième guerre punique, qui visait à limiter l'étalage de luxe dans leur apparence (bijoux, costume, etc.), et que stigmatisa un Caton l'Ancien aussi austère et rétrograde qu'on peut l'imaginer...

                                        Et les hommes, dans tout ça ? Ils ne sont pas absents. Si quelques-uns apparaissent effacés et dominés par leurs compagnes, leurs mères ou leurs maîtresses, d'autres surent tirer parti de ces liens et relations, à l'instar d'un César instrumentalisant ses maîtresses, comme le raconte Joël Schmidt dans un remarquable chapitre.
         

Julie, fille d'Auguste. (Centrale Montemartini, Rome. ©Indiana University.)

                                        Je n'émettrai que deux petits bémols quant à ce livre, que j'ai dévoré de la première à la dernière page. D'abord, le traitement de l'antiquité tardive me semble un peu succinct, bien que j'entende les raisons avancées par l'auteur. J'aurais aussi apprécié quelques lignes supplémentaires sur Antonia... Mais surtout, j'ai été surprise par les passages consacrés à Julie, la fille d' Auguste : Joël Schmidt a choisi de privilégier l'hypothèse de son exil pour inconduite, sans se faire l'écho des diverses théories évoquant un complot auquel la jeune femme aurait pris part au côté du fils de Marc Antoine, dans le but de renverser l'Empereur...

                                        Nonobstant cette légère réserve, je demeure séduite par ce formidable ouvrage, qui démontre à quel point les Romaines comptèrent dans l'Histoire de Rome. Loin des idées reçues de la femme recluse dans sa domus et d'une scène politique réservée aux hommes, Joël Schmidt démontre comment elles ont su s'émanciper et marquer leur temps, exerçant une réelle influence qui, parfois, modifia de façon radicale le cours des évènements. Certes personnages de pouvoir, elles n'en demeurent pas moins des épouses, des mères et des amoureuses - bref, des femmes, que Joël Schmidt donne à voir dans leur grandeur et leur complexité. Un Michel Sardou antique aurait tout aussi bien pu chanter que les Romaines étaient des femmes "ayant réussi l'amalgame / de l'autorité et du charme" ... (Et c'est là qu'on juge de la modernité de ma culture musicale !)


"FEMMES DE POUVOIR DANS LA ROME ANTIQUE" de Joël SCHMIDT.
Éditions Perrin - 20€50 - lien ici.

Pour plus d'informations, le site internet de l'auteur : http://www.joel-schmidt.com/

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