dimanche 17 novembre 2013

Gladiature Et Archéologie Expérimentale avec ACTA.



                                        Je me fais régulièrement l'écho sur ce blog des conférences et visites proposées par le Musée Archéologique de Nîmes, auxquelles j'assiste le plus souvent possible. Les dernières rencontres organisées par Fleur Ippolito et son équipe étaient centrées sur le thème de la gladiature, en lien avec l'exposition sur l'amphithéâtre de Nîmes qui vient de s'achever. Rappelez-vous, j'en ai parlé ici. Samedi dernier, c'était au tour de Brice Lopez et de sa fille Méryl Ducros de venir nous parler des gladiateurs. Leur approche est toutefois différente de ce que nous avons pu voir jusqu'ici : ancien sportif de haut niveau, Brice Lopez est à la tête de la société ACTA, qui reconstitue les arts martiaux médiévaux et antiques en se basant certes sur les textes, les études historiques et les dernières recherches archéologiques, mais aussi et surtout sur l'expérimentation ; Méryl Ducros, doctorante à l'Université de Montpellier, consacre sa thèse à la gladiature dans le monde oriental. Une double démarche donc, classique dans son aspect de recherche historique mais innovante par l'utilisation de l'archéologie expérimentale.

                                        Au cours de cette après-midi, ils sont revenus sur les origines de la gladiature et ont dressé une comparaison entre les stèles funéraires de gladiateurs retrouvées à Nîmes et celles mises au jour en Orient, avant d'aborder les techniques de combat proprement dites. Enfin, deux membres d'ACTA nous ont offert une démonstration, avec un affrontement Thrace / Mirmillon qui nous a permis de visualiser, de façon concrète, à quoi devait ressembler un combat de gladiateurs.

Méryl Ducros.


                                        Je ne détaillerai pas l'ensemble de la conférence, puisque j'ai déjà eu l'occasion de traiter à plusieurs reprises de la gladiature et en particulier des différentes armaturae. De plus, vous pouvez retrouver une grande partie de ces informations sur l'excellent site d'ACTA, dont le lien est indiqué en fin d'article. Pour une fois, je ne rédigerai donc pas un compte-rendu fidèle, mais je reprendrai l'intervention de Méryl Ducros, je parlerai brièvement de l'archéologie expérimentale telle qu'elle est pratiquée par ACTA, et je vous ferai revivre la performance de nos gladiateurs, par vidéo interposée.

STÈLES FUNÉRAIRES ORIENTALES ET NÎMOISES.


                                        Dans un premier temps,  Méryl Ducros dresse donc un parallèle entre les stèles funéraires des gladiateurs retrouvées à Nîmes et en Orient. J'ai déjà précisé, lorsque j'ai parlé de l'exposition "Les Arènes De Nîmes, Un Amphithéâtre Romain", que les tombes des gladiateurs étaient situées dans une zone distincte : frappés d'infamia même dans l'au-delà, ils étaient cantonnés dans des nécropoles spécifiques. Plusieurs stèles découvertes à Nîmes ont donné lieu à diverses hypothèses, et l'on a par exemple envisagé l'implantation d'un ludus dans la cité. Ce sont les mêmes stèles que celles dont j'ai déjà parlé qui servent de support à notre spécialiste, qui les compare à deux autres représentations funéraires, venues d'Orient. D'un côté donc, les stèles nîmoises des gladiateurs Aptus et Columbus ; de l'autre, celle de Vitalis (découverte à Stratonicée - Turquie actuelle) et celle d'Istros (mise au jour à Tralles - encore la Turquie.) Vous pouvez les voir sur la photo ci-dessous, prise lors de la conférence. Je n'ai pas retrouvé la stèle de Vitalis,  mais j'ai illustré l'article avec celle de son collègue Leukaspis, du Musée archéologique de Thessalonique, assez similaire. (Ajout : Méryl Ducros ayant eu l'immense gentillesse de me faire parvenir la photo de la stèle de Vitalis, je l'ai ajoutée plus bas, dans le paragraphe dédié à l'armatura. Merci à elle !)




                                        Ce face à face révèle des points communs, mais aussi des différences. La principale opposition est évidente : les stèles orientales sont ornées de représentations figurées (dans 80% des cas), alors que les stèles d'Occident ne sont constituées que de textes dont les mots sont abrégés. Sur les stèles orientales apparaissent de courts textes en vers. En revanche, chaque catégorie présente des informations similaires quant à l'identité des hommes auxquelles elles sont dédiées - mais là encore, avec quelques nuances.

Stèle nîmoise d'Aptus.

Le nom : On trouve le pseudonyme du gladiateur. En effet, les combattants prenaient un "nom de scène" (ou plutôt un "nom d'arène" !), choisi pour illustrer leurs qualités de combattants (Ferox, Pugnax, etc.) ou en référence à un personnage mythologique. Certains de ces surnoms se retrouvent d'un bout à l'autre de l'Empire, à l'instar de Vitalis, célèbre dans tout le bassin méditerranéen. Je me répète d'un article à l'autre, mais les gladiateurs, en dépit du mépris que suscitait leur statut, étaient paradoxalement adulés par les foules au point qu'un véritable "merchandising" était organisé autour des plus populaires : des lampes à huile à leur effigie, des médaillons, voire des flacons remplis de leur sueur étaient vendus aux fans les plus acharné(e)s !



A noter que les pseudonymes n'ont guère varié au cours de l'Histoire et que la liste en est finalement assez restreinte - il faut dire que ces noms se perpétuaient d'une génération à l'autre. Toutefois, le véritable nom du combattant apparaît sur les stèles orientales - ce qui n'est pas le cas en Occident.


Stèle d'Istros.
 L'âge : Les stèles indiquent également l'âge du gladiateur au moment de sa mort. Les inscriptions ne permettent cependant pas de déterminer quelle était l'espérance de vie des combattants dans l'arène, puisqu'on ne sait pas à quel âge sont morts ceux qui avaient survécu à la gladiature. L'écart est toutefois important : le plus jeune gladiateur tombé dans l'arène est mort à 16 ans et le plus âgé, à 45 ans. La majorité des stèles mentionnent des âges compris entre 18 et 25 ans, et l'on peut supposer qu'il s'agit de gladiateurs inexpérimentés, tués au cours de leurs premiers engagements.



Stèle de Leukaspis.
L'armatura : C'est-à-dire la "panoplie" du gladiateur, ou la catégorie de combattants à laquelle il appartenait. (Thrace, rétiaire, mirmillon, etc.) C'est ici que l'on trouve les différences les plus flagrantes : en Occident, l'armatura est indiquée dans le texte alors qu'elle est illustrée par une représentation du gladiateur en Orient. On reconnaît alors l'armatura en question selon les armes offensives et protections.

Les stèles orientales mentionnent aussi le grade du gladiateur. Et là, j'avoue que ce fut une surprise pour moi ! Je savais qu'un gladiateur évoluait, au cours de sa formation, et passait d'une armatura à l'autre en fonction de ses compétences et de ses progrès : par exemple, un gladiateur novice est d'abord provocator. Or, j'ai appris que chaque armaturae était subdivisée en 4 grades successifs : α β κ δ . Exactement comme les dans au judo - le gladiateur proto-palos ou palos alpha étant l'équivalent d'une ceinture noire. (Le type auquel il vaut mieux ne pas chercher des crosses, donc.)

Stèle de Vitalis.

                                        La stèle de Vitalis (et du coup, celle de Leukaspis) mentionne par ailleurs le nombre de ses victoires, symbolisées par les palmes ou par les couronnes. Elle distingue deux types de succès, sous deux termes différents : niké (la victoire) et niké lampos (la victoire étincelante). On ignore quelle était la distinction exacte entre les deux, mais peut-être la "victoire étincelante" correspondait-elle à un combat à armes réelles - pour lequel l'organisateur des jeux (munerarius) devait obtenir une autorisation spéciale. En effet, la grande majorité des affrontements se faisaient à armes blanches - ce qui n'empêchait pas le spectacle et les blessures !

                                        L'origine : Les inscriptions funéraires renseignent aussi sur l'origine géographique des gladiateurs, et montrent leur grande mobilité. On trouve des combattants de toutes origines, sur tout le territoire de l'Empire. Exactement comme on trouve aujourd'hui des joueurs espagnols, camerounais, brésiliens, suédois dans les équipes de football européennes... A Nîmes, la moitié des stèles mentionnent des gladiateurs d'origine étrangère.


Stèle nîmoise de Columbus.
 Le dédicant : Enfin, la mention du commanditaire de la stèle apporte des informations sur la vie privée des gladiateurs et sur leur famille au sens large du terme : certaines ont été érigées par des épouses, des enfants, des compagnons d'armes ou parfois même par un doctor (entraîneur des gladiateurs). Le mot d'"épouse" soulève en lui-même une interrogation puisque, de condition servile de par les termes de son contrat et ayant renoncé à la citoyenneté romaine si toutefois il en était détenteur, un gladiateur ne peut pas se marier en théorie. Le mariage était-il antérieur à son engagement ? S'agit-il d'un mot générique ? Brice Lopez émet une hypothèse intéressante, supposant que l'abandon de la condition d'homme libre correspondait plutôt à une servitude "de loyauté" et non de fait, et présentait surtout pour le laniste l'avantage de le protéger de toute poursuite judiciaire de la part de la famille, au cas où son gladiateur viendrait à mourir au combat...



                                        Ce parallèle entre les stèles orientales et occidentales offre donc de nombreux éclaircissements  sur l'existence des gladiateurs, mais pose aussi d'autres questions. La mise en relation des différentes armaturae - entre les descriptions écrites et les représentations - n'est par exemple pas évidente. Pour ma part, j'ai adoré la présentation de Méryl Ducros, et j'espère bien en apprendre davantage au fur et à mesure de l'avancée de son travail, peut-être lors de nouvelles interventions.
 

ACTA ET L’ARCHÉOLOGIE EXPÉRIMENTALE.


                                        Méryl Ducros et Brice Lopez font partie d'ACTA, structure qui applique l'archéologie expérimentale à l'univers de la gladiature. Mais qu'est-ce que l'archéologie expérimentale ? Pour résumer, il s'agit de reconstituer les usages à partir des textes, vestiges et objets mis au jour, de tenter de recréer de façon empirique la réalité du mode de vie de l'antiquité. Ces travaux permettent de valider ou d'infirmer des hypothèses et de répondre aux questions théoriques que se posent les historiens, par exemple sur la fabrication ou l'utilisation d'un objet précis. Artisanat, construction, habitat, métiers, art de la guerre, cuisine, musique... Tous les domaines et toutes les époques peuvent se prêter à cette technique.

                                        ACTA exploite cette science pour étudier l'univers des combats : lutte , pugilat, pancrace, gladiature évidemment, armée romaine, mais aussi duels médiévaux. Il s'agit donc d'une interprétation rigoureuse à partir des textes et des vestiges archéologiques, qui permet de passer de la théorie à sa mise en pratique afin d'en déterminer la validité. Dans le cas de la gladiature : comment sont fabriquées les armes ? De quelle manière s'en sert-on? Quel est l'impact d'un combat sur la physiologie ? Ici, l’expérimentation sert notamment à comprendre la logique de l'armatura d'un gladiateur et les techniques de combat qui en découlent. Une démarche qui permet de passer du document et des questions qu'il soulève à la pratique concrète qui peut fournir les réponses - et bien souvent des réponses inattendues, à l'encontre des idées reçues que l'on tenait jusque là pour certaines. Au-delà de ce travail de recherche, ACTA s'est aussi fixé le but de diffuser les connaissances ainsi acquises auprès d'un large public. Des animations pédagogiques sont régulièrement mises en place, dans le cadre scolaire ou en partenariat avec des musées ou des monuments historiques. On les retrouve ainsi sur le site d'Alésia, lors des Journées d'Arles, ou encore au parc historique de Beaucaire.


Brice Lopez et ses gladiateurs.


                                        A la tête de cette entreprise, Brice Lopez n'est certes pas historien de formation, mais la passion, l'expertise et les connaissances acquises en dehors du système suffisent à asseoir sa légitimité. Notre homme est ouvert et sympathique, mais il a son franc-parler. Pour le dire autrement, et dans ses propres termes, c'est une "grande gueule". Il n'hésite donc pas à battre en brèche les idées fausses, images d’Épinal que le grand public a de la gladiature. Jeux de massacre où tous les coups sont permis et la mort systématique ? Au contraire,  il s'agit d'une véritable institution sportive organisée à l'échelle de l'Empire, d'un art martial strictement réglementé et dont les combats sont arbitrés par des professionnels spécifiquement formés à cette tâche et dûment assermentés. Un sport exigeant, extrêmement physique où le plus solide des combattants a bien du mal à soutenir plus de quelques assauts de quelques minutes. En fait de boucherie généralisée, on est plus prêt du combat de boxe...

                                        Tant qu'on y est, le mythe de Spartacus en prend aussi pour son grade ! Le thrace, fait prisonnier, aurait certes initié une révolte contre les Romains en entraînant dans son sillage esclaves, gladiateurs et miséreux, mais lui-même n'aurait pas été plus gladiateur que moi. Personnellement, je me garderai de trancher : on lit tout et son contraire sur le pseudo-gladiateur révolté, et la rareté des sources antiques n’apporte pas de réponse définitive. Brice Lopez n'en est pas moins convaincant et son opinion est au moins aussi crédible qu'une autre.

                                        Appliquée à la gladiature, l'archéologie expérimentale apporte de précieuses informations sur les principaux types de gladiateurs, leurs armes et leurs techniques de combat. Elle offre aussi et surtout un autre regard sur cette discipline qu'elle remet à sa juste place dans le monde antique : un sport aussi bien organisé que nos championnats de football, avec ses règles, ses arbitres et ses stars et qui, comme nos matches aujourd'hui, a suscité un immense engouement à travers tout le territoire romain pendant toute son histoire ou presque. Reconstituer l'ensemble de ces pratiques, diffusées sur une vaste zone et étalées sur plus de 8 siècles, n'est pas un mince exploit - surtout lorsqu'on considère qu'il n'en reste aujourd'hui finalement que des traces : quelques stèles funéraires, des fragments d'armes, lampes à huile ou représentations brutes qu'il faut encore savoir interpréter. Tout comme il convient de se départir des stéréotypes véhiculés par les peintres pompiers, repris depuis pas le cinéma et qui nourrissent l'imaginaire du grand public. Vous avez vu le film "Gladiator" ? Et bien, oubliez tout !


UN COMBAT DE GLADIATEURS, COMME SI VOUS Y ÉTIEZ.


                                        Pour vous en convaincre, jetez un œil à la vidéo dont je vous parlais plus haut : deux des combattants d'ACTA nous ont offert une reconstitution d'un affrontement entre un thrace (à gauche) et un mirmillon (à droite), arbitré par Brice Lopez. Tendez l'oreille - on perçoit distinctement l'essoufflement du mirmillon...




Un grand merci au Musée archéologique de Nîmes, à Brice Lopez, Méryl Ducros et leurs deux gladiateurs pour cette après-midi sympathique et instructive.

Pour plus de renseignements, visitez le site d'ACTA : http://www.acta-archeo.com/html/


    


2 commentaires:

Sylviane a dit…

Nous avons vu la démonstration ensemble et j'ai pris RV avec Brice Lopez pour faire une émission pour Radio Alliance Plus 103,1 en février 2014 ; sa passion sera très radiophonique!

FL a dit…

Super ! J'ai hâte d'entendre ton interview : je me régale toujours à écouter des émissions, surtout quand elles parlent d'antiquité. N'hésite pas à laisser un message dès que tu as la date de diffusion - je relayerai aussi l'info.