vendredi 20 juin 2014

"Moi Auguste, Empereur de Rome" : un regard sur l'exposition du Grand Palais.


                                        L'année 2014 marquant les 2000 ans de la mort de l'Empereur Auguste, l'anniversaire aura été dignement célébré par plusieurs publications dont je me suis fait l'écho sur ce blog, pour la plupart centrées sur l'exposition organisée au Grand Palais. Après tout ce que j'avais pu lire, voir et entendre, j'en attendais beaucoup... et je n'ai pas été déçue ! Belle réussite, cette exposition tient ses promesses et présente un nombre impressionnant de pièces remarquables, mises en scène de façon judicieuse et élégante.

                                        Divisé en 7 étapes, le parcours muséographique mêle habilement la chronologie aux différentes thématiques retenues : Octave et la guerre civile, le régime augustéen, la Rome d’Auguste, la diffusion d’un nouveau langage artistique de tradition grecque, le cadre privé, Auguste et les provinces, et enfin mort et apothéose. Pertinente, cette présentation affiche l'ambition de faire revivre le siècle d'Auguste et la vie quotidienne au travers des œuvres présentées, mais aussi d'approcher au plus près le personnage autant public que privé. Mais très franchement, ce n'est pourtant pas l'aspect qui m'a le plus frappée.



Auguste de la Prima Porta, époque tibérienne. (Vatican, Musei Vaticani, Braccio nuovo  - ©Musées du Vatican / Cité du Vatican.)

                                        Dès la première salle, le visiteur est accueilli par l'immense statue de la Prima Porta, montrant Auguste en cuirasse. Derrière lui s'affichent des extraits de la Res Gestae, le testament politique dans lequel il détaille ses actions et ses réalisations. On retrouve donc ici l'idée directrice d'une exposition attachée à présenter la vie et l’œuvre du fondateur du principat, et la vie quotidienne de la Rome augustéenne. Deux thèmes étroitement liés, illustrés par les œuvres des artistes et artisans de l'époque, par le biais des statues, bustes, frises, monnaies, bijoux, mobilier domestique, vases, objets funéraires, etc... qui se succèdent dans les différentes salles.

                                        Mais le choix d'ouvrir l'exposition par cette statue en particulier met en lumière un autre point important. En effet, on remarque que l'Empereur est représenté pieds nus, et si la question fait encore débat parmi les historiens, la plupart supposent qu'il s'agit d'une caractéristique propre aux représentations des divinités. Il ne s'agit donc pas d'un simple portrait d'Auguste, mais de celui d'Auguste divinisé. A ce titre, elle illustre un autre aspect de sa politique, présente en filigrane tout au long de l'exposition: la place de l'art dans la propagande (bien que le terme soit anachronique) augustéenne. Dès son apparition sur le devant de la scène politique, à la mort de son grand-oncle et père adoptif Jules César, Octave (qui ne deviendra Auguste qu'en 27 avant J.C., lorsque le Sénat lui accordera ce nom honorifique - voir ici.) a bien compris la puissance des symboles et la force des images, et le rôle qu'ils pouvaient jouer dans sa conquête du pouvoir.

                                        Alors que les portraits de la République romaine se distinguaient par un réalisme étonnant, accentuant les rides, la dureté des traits et les imperfections physiques - à l'image du buste de Crassus, visible au Grand Palais - les statues d'Auguste et de ses proches montrent a contrario des personnages idéalisés, calqués sur un idéal de beauté emprunté à la Grèce. Les bustes les plus anciens datent d'environ 40 avant J.C. : âgé de 23 ans, Octave partage alors le pouvoir avec Lépide et Marc Antoine, dominant la partie occidentale du territoire romain tandis que ses acolytes dirigent respectivement l'Asie et l'Afrique. Ces portraits sont déjà idéalisés, magnifiant la force et la jeunesse d'Octave. Étrangement uniformes, les représentations d'Octave / Auguste ne varient pratiquement pas au fil du temps, et l'image fixée dans le marbre demeure celle d'un éternel jeune homme vigoureux - comme le montre l'ensemble des œuvres exposées, y compris les statues réalisées plusieurs décennies plus tard, alors que l'Empereur est pourtant septuagénaire.

                                        Provenant des quatre coins de l'Empire, ces portraits génériques illustrent aussi la manière dont Auguste assoit son pouvoir par la diffusion de l'image. Le culte impérial s'appuie sur ces représentations artistiques pour s'imposer dans les provinces et unifier les territoires autour d'un même culte, de même que les pièces de monnaie, dont l'iconographie permet de transmettre les idées fortes prônées par le régime.



 
Relief d'Actium : procession. (Séville, Maison de Pilate, ©Fundacion casa ducal de Medinaceli, Séville Espagne.)

                                        Après avoir vaincu Marc Antoine et Cléopâtre à la bataille d'Actium en 31 avant J.C., Octave devient le seul maître de Rome. Maintenant les apparences de l'ancien régime républicain, il fonde le principat et, sans en avoir l'air, s'arroge la majorité des pouvoirs. Or, dès le début de son règne, l'une des grandes préoccupations d'Auguste est de trouver un successeur qui garantira la pérennité du principat après sa mort. C'est cette problématique que met en lumière la galerie de portraits par laquelle se poursuit l'exposition, et qui montre la succession des prétendants : son neveu Marcellus, son beau-fils Drusus, ses petits-fils Caius et Lucius - tous disparus avant lui - et enfin Agrippa Postumus, dernier petit-fils de l'Empereur, assassiné après sa mort. Ne reste alors que Tibère, fils issu du premier mariage de Livie, qui deviendra le deuxième Empereur de Rome. Mais là encore, la représentation de l'ensemble de la famille impériale - alors inédite dans le monde romain - et sa diffusion sur tout le territoire répondent précisément à cette volonté d'asseoir une dynastie : ces portraits, en véhiculant l'image des proches d'Auguste, font d'eux des personnages publics.

Portraits de la famille impériale, avec Tibère au premier plan. J. De Fontenay/JDD/SIP.)



                                        Autre grand axe de la politique d'Auguste, la refondation de Rome accompagne celle des institutions. Période d'intense activité d'aménagements urbains, son règne transforme la ville grâce aux grands travaux publics et à l'encouragement des initiatives privées. Réorganisation des forums, construction d'édifices publics comme le théâtre de Marcellus ou les thermes, rénovation et édification de temples, nouvelle division administrative... Si l'architecture reste classique et met en avant le respect de la tradition, l'art qui s'exprime dans les décors illustre en revanche l'idée selon laquelle le règne d'Auguste marque le début d'une nouvelle ère de paix et de prospérité. La période est donc particulièrement favorable à l'épanouissement artistique : la création littéraire soutenue par Mécène voit ainsi émerger des poètes majeurs comme Virgile et Horace, encouragés à chanter les louanges de l'Empereur ; et les sculpteurs délaissent l'imitatio des modèles grecs pour tenter de les dépasser en les interprétant ou en les transposant selon le goût latin, créant ainsi une sculpture néo-attique.

                                        Dans la sphère privée, le développement économique consécutif à la pacification se ressent également dans le décor, qui se pare de motifs évoquant l'abondance et la fertilité (à l'instar des célèbres fresques de la Villa de Livie, avec ses jardins luxuriants),  et le mobilier et les objets du quotidien, réalisés avec une grande finesse et une vraie maîtrise technique, dans des matériaux aussi divers que le verre, l'argent, le bronze, les pierres précieuses ou l'or.


Trésor de Boscoréale : skyphos à poucier. (Paris, Musée du Louvre, départ. des antiquités grecques, étrusques et romaines - ©RMN-Grand Palais - Musée du Louvre / Hervé Lewandowski.)

                                        A ce titre, les objets d'art commandés par Auguste et ses proches, d'un luxe et d'une somptuosité fascinantes, sont en contradiction avec l'autre message véhiculé par la famille impériale : ayant tiré les leçons du sort réservé à son père adoptif, Jules César, assassiné car soupçonné de vouloir accéder à la royauté, Auguste ne revendique aucunement une nature divine, et il met en exergue une vie simple et frugale, à l'image de la modeste demeure qu'il occupe avec sa famille. Mais les objets d'art et d'artisanat réalisés pour la famille impériale donnent une toute autre image en privé. Par exemple, les sublimes camées montrent souvent Auguste sous les traits de Jupiter ou Apollon - comme le camée Blacas, délicatement sculpté dans un onyx brillant, ou encore une superbe agate, où il apparaît en Mercure.


Auguste, Camée "Blacas". (Vers 14-20 ap. J.C., Londres, British Museum ©The British Museum, Londres dist. RMN- Grand Palais  / The Trustees of The British Museum.)

                                        J'aurais certes pu suivre le parcours proposé par le Grand Palais en reprenant les textes de l'exposition et en revenant sur quelques-uns des objets exposés. La partie présentant lampes à huile, tables, chaises, lits, vases, etc. illustre à merveille la vie quotidienne au début de l'Empire et la manière dont l'art et l'artisanat ont mis à profit la période de paix et de prospérité qu'a représenté le principat d'Auguste, ainsi que l'état d'esprit d'une société enfin délivrée de décennies de guerres civiles. Mais tout ayant déjà été écrit sur cette exposition, il m'a semblé plus enrichissant d'adopter un autre angle et une autre vision. Pour un compte-rendu exhaustif, je me contenterai de vous renvoyer à l'album publié par la RMN. (Voir en fin d'article).

                                        Redécouvrir la figure du premier Empereur de Rome et ressentir l'impact de sa politique sur la vie quotidienne à travers un art, un artisanat et une architecture qui fleurissent lors de ce qu'on a coutume d'appeler le "Siècle d'Auguste" ? Soit, le pari est réussi. Mais ce que montre le  Grand Palais, c'est peut-être surtout la stratégie d'Auguste, la manière dont il parvient à utiliser tous ces leviers pour transformer une république prétendument "restituée" en une monarchie héréditaire qui ne dit pas son nom. Du domaine public - avec la statuaire et l'implantation du culte impérial jusque dans les Provinces les plus éloignées - à la sphère privée, c'est en effet l'ensemble de la société romaine qu'Auguste a radicalement transformée, sur le plan politique, matériel et culturel. Son règne est effectivement marqué par un âge d'or artistique qui fait émerger des figures majeures de la littérature et les plus belles fresques et objets d'art de l'Antiquité romaine - mais cet épanouissement des arts a surtout accompagné la naissance d'un régime qui demeurera quasiment inchangé pendant près de 4 siècles, et qu'Auguste a su imposer en à peine quelques décennies.

                                        Deux grands axes de lecture pour une exposition passionnante, d'une grande richesse, qui permet au visiteur d'admirer des pièces majeures venues des plus grands musées. Dépêchez-vous : il ne vous reste plus qu'un mois pour courir au Grand Palais...







Lecture recommandée : 



"Auguste, l'album de l'exposition"
Éditions RMN - 10 €.
Lien ici.








Pour rappel : 

"Moi, Auguste, Empereur de Rome"  - Jusqu'au 13 juillet.


Grand Palais - 3, avenue du Général Eisenhower - 75008 Paris.
Tous les jours de 10H à 20H, sauf le Mardi.
Tarif : 13€. (Tarif réduit : 9€).
Lien ici.










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